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Mens Gratia Artis
12 février 2010

INTRODUCTION A L'ART CONTEMPORAIN

Titre_introduction

Texte déjà paru sur Majestart.com, qui tente, en quatre parties succinctes, de dresser un portrait de l'art contemporain et de ses enjeux.

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INTRODUCTION A UN ART HERMÉTIQUE


Cette série d’articles aura pour but de faire une introduction à l’art contemporain. Il n’y sera que peu question des rapports entre celui-ci et le christianisme, car cette thématique fera l’objet d’une série d’articles qui lui succédera. Il est avant tout nécessaire de fournir quelques clés de compréhension, afin de pouvoir saisir par la suite quels sont les enjeux chrétiens de la production artistique actuelle.

S’initier à l’art contemporain n’est pas une chose facile. Il suffit de se remémorer quel fut notre désarroi lorsque nous nous sommes un jour où l’autre retrouvés face à une œuvre qui a priori ne semblait rien signifier et que, nous sentant totalement étranger, rejeté, nous avons fait face au premier obstacle, de taille : l’hermétisme.
L’art contemporain semble incompréhensible, dénué de sens, et pour beaucoup, il est synonyme de non-sens, d’élitisme et de facilité (combien de fois entend-t-on dans les musées «ça, moi aussi je peux le faire» ...). Pour pouvoir l’apprécier et l’appréhender, il est avant tout nécessaire de comprendre que l’art contemporain est un langage. Tout comme l’art classique, il repose sur des conventions, des pratiques communes, des mouvements, des types d’expressions... Ainsi, aux catégories classiques comme la peinture et la sculpture se substituent désormais la performance ou l’installation, qui regroupent une large variété d’interventions artistiques. Bien sûr, sa complexité est autrement plus élevée, mais en aucun cas insurmontable.
Mais pourquoi est-il nécessaire de comprendre l’art contemporain ? Avant tout, parce que l’art est l’un des miroirs les plus utiles dont une société dispose pour lui renvoyer ses dysfonctionnement, ses travers, ainsi que ses traits les plus significatifs. L’art est un outil qui nous permet de comprendre des choses sur le monde et sur nous-mêmes. Et l’art contemporain est un outil encore plus efficace que son académique prédécesseur.
L’art classique instaurait une relation particulière entre l’œuvre et le spectateur, qui était la contemplation de
l’œuvre. Le spectateur était passif, pour ainsi dire subordonné à l’œuvre. L’art contemporain rompt avec cette tradition pour impliquer le spectateur, l’amener à réfléchir, à se regarder lui-même. Ainsi, il est communément admis que dans un musée, le spectateur ne contemple plus l’œuvre, il réfléchit devant l’œuvre.
C’est la compréhension de ce point crucial qui nous permet de jeter sur l’art actuel un regard différent. L’absence apparente de sens se retrouve comblée dès lors que nous comprenons que c’est nous qui sommes le déclencheur de
l’œuvre, que sans nous, elle ne veut rien dire. Du choc qui résulte de notre confrontation à l’œuvre émergent pensées, sentiments, sensations diverses, qui sont le sens même de l’œuvre. L’art contemporain est un art de la subjectivité, et le sens d’une œuvre n’est pas nécessairement le même pour chaque personne.
Il est donc un moyen privilégié d’introspection, où l’artiste nous sert de guide pour plonger au fond de nous-même. L’aspect plastique est moins important qu’auparavant, car c’est le concept qui est la véritable moelle de
l’œuvre. C’est donc avant tout pour y trouver des idées que nous devons nous immerger dans cette production contemporaine.
Mais pour le chrétien, quel intérêt peut bien revêtir tout particulièrement l’art contemporain ? L’art occidental a toujours nourri une relation très forte et complexe (parfois même exclusive) avec la foi chrétienne, et si cet engagement spirituel dans la création s’est notoirement essoufflé depuis un peu plus d’un siècle, on trouve encore aujourd’hui les stigmates de l’apport religieux dans des œuvres contemporaines. Bien souvent, la religion y est prise à parti, détournée, ou tournée en dérision, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous y intéresser. Si l’art d’aujourd’hui est avant tout fait pour réfléchir,
ne pouvons-nous pas nous aussi, chrétiens, y trouver matière à penser notre rapport au monde ?

2
RUPTURE : FORMES ET EXPRESSIONS

La rupture qu’a marqué l’art contemporain avec l’art classique a bouleversé totalement l’idée qu’on se faisait de l’Art. Cette rupture se situe autant au niveau de la forme que, nous le verrons dans un prochain chapitre, du fond, les deux étant bien sûr étroitement entremêlés.

Une fois surmontée la difficulté de l’apparent hermétisme de l’art contemporain, nous faisons face à un second obstacle : l’étendue des champs d’investigation. En effet, jamais la création artistique n’a été aussi variée qu’aujourd’hui. Si cette richesse est évidemment signe de vitalité, c’est également une raison de plus pour le novice de se perdre dans les méandres de la création contemporaine.
Auparavant, les beaux-art étaient subdivisés en catégories peu nombreuses et clairement délimitées : peinture, sculpture, gravure ... Mais désormais, on a l’impression qu’il y a autant de catégories que d’œuvres, car les artistes prennent un malin plaisir à refuser d’entrer dans une case ou d’endosser une étiquette, notions qu’ils trouvent trop restrictives.
La rupture de l’art contemporain avec l’art classique au niveau plastique et formel peut se décomposer en trois niveaux :
1. Les matériaux
Ici, c’est la rupture totale : tout est utilisable ! Depuis la «Nature morte à la chaise cannée» de Picasso qui introduisait le collage de matériaux triviaux dans un domaine des beaux-arts se cantonnant jusqu’alors à la peinture, les artistes se sont affranchis des règles, et ont commencé à explorer les possibilités plastiques de toutes les matières imaginables.
Cela va du plus simple métal aux œuvres les plus singulières. Ainsi l’artiste britannique Damien Hirst réalisa une série d’animaux coupés en deux baignant dans du formol. Giovanni Anselmo réalisa une oeuvre à base de granit et de salade fraîche (celle-ci devait être remplacée chaque matin) et Wim Delvoye réalisa une machine qui reproduit le système digestif humain, et vendait les excréments obtenus dans des boîtes de conserve.
Plusieurs intérêts résident dans cette utilisation illimitée des matériaux. Tout d’abord, la liberté totale de créer permet de s’affranchir des limites que possédaient la peinture et la sculpture. Désormais l’artiste peut utiliser un matériau pour sa signification, ses connotations, ce qui était impossible auparavant. Importe également l’aspect subversif : certaines œuvres, comme celles citées précédemment, rompent tellement avec ce qui a été fait auparavant que leur subversion constitue en grande partie l’intérêt de
l’œuvre (parfois en totalité).
2. Techniques et technologies
L’accélération fulgurante du progrès au XXe siècle a profondément influencé la mutation de l’art contemporain. Les artistes se sont vite rendus compte que nouvelle technologie était synonyme de nouvelle forme d’expression. L’apparition de la photo est le premier choc qui secoue un art encore fermement attaché à ses catégories académiques. Décriée par Baudelaire, qui craint de la voir prendre la place de la peinture, celle-ci ne tarde pourtant pas à s’imposer. De Man Ray à Robert Doisneau, de Diane Arbus à David LaChapelle, l’évolution de ce médium a été exponentielle.
La vidéo lui emboîte le pas, et reste actuellement une technique très prisée. Du cinéma à la vidéo d’art, les possibilités, là encore, sont immenses. La technologie de pointe n’est pas en reste, et est devenue presque une catégorie artistique à elle-seule. Nam June Paik crée des robots constitués de téléviseurs, Orlan utilise la biotechnologie pour manipuler ses propres cellules et celles d’animaux dans
l’œuvre «Le manteau d’Arlequin».
La question se pose beaucoup au sein de la critique artistique de la limite entre art et technologie, et n’est visiblement pas prête d’être résolue.
3. Représentation
La manière de représenter
l’œuvre a radicalement changé. Avant, un tableau était simplement accroché à un mur, et une sculpture exposée au milieu d’une salle. Mais les nouvelles formes d’expressions amènent de nouvelles formes de représentation. Quelques exemples radicaux permettent de se faire une meilleure idée du fossé qui sépare le contemporain du classique.
L’artiste bulgare Christo est célèbre pour son land art extrémiste. Il a ainsi peint une montagne entièrement en bleu, ou encore emballé le Pont-Neuf et le Reichstag dans du polyester. Joseph Beuys s’enferme durant trois jours en compagnie d’un coyote sauvage dans une galerie d’exposition, et Chris Burden se fait tirer une balle dans le bras gauche. Toutes ces œuvres s’affranchissent du musée car elles ne peuvent exister à l’intérieur. La représentation classique de l’art est abolie, et l’art contemporain ouvre de nouvelles perspectives.
Nous le constatons : en art contemporain, la forme ne saurait rester figée très longtemps, elle est sans cesse en train de chercher de nouveaux moyens de se dépasser elle-même, d’anticiper les changements de technologie et les nouvelles possibilités de perception. Mais la forme n’est pas une finalité, et est toujours en relation avec un concept fort qui lui donne sa légitimité. Cela sera l’objet du prochain article.

3
L'ABOUTISSEMENT DA
NS LE CONCEPT

 

Nous l’avons vu, l’art contemporain érige quasiment la rupture formelle en nouveau standard de la création. Mais toute la production actuelle ne serait qu’une succession de coquilles vides si cela n’était pas au service d’une réflexion forte, particulièrement autour de la notion elle-même d’œuvre d’art.

 

Les mouvements dits d’avant-garde (Dadaïsme, Cubisme, Futurisme, Constructivisme ...) ont à partir du XIXe siècle entamé une grande réflexion de fond, souvent très radicale, sur la notion d’œuvre d’art. Les œuvres, provocantes et inédites à l’époque, s’éloignent de ce qui est communément appelé le Beau, pour rechercher ce qu’est une oeuvre au sens plus large. C’est l’époque des expérimentations, et chaque mouvement repousse un peu plus loin les bornes de ce que peut être une oeuvre.
Les avant-garde créent de profondes fissures sur la conception lisse est nette de l’œuvre académique, conception que l’art contemporain explose littéralement, notamment grâce à l’intervention de Marcel Duchamp et de ses célèbres «ready-mades». En exposant des objets du quotidien dans une galerie sans leur apporter la moindre modification, il bouleverse radicalement le monde de l’art avec ce message : est art tout ce que l’artiste présente comme tel.
C’est à partir de là que nait l’incompréhension vis-à-vis de l’art contemporain. Le spectateur se sent parfois dupé par la désinvolture avec laquelle l’artiste expose des oeuvres apparement vides et réalisées sans y apporter ni soin ni réflexion. Mais il faut plutôt tâcher d’y comprendre à quel point l’art a été libéré par cette nouvelle approche.
En effet, là où auparavant, c’étaient la prouesse technique, la minutie et le talent de l’artiste qui primaient et donnaient toute sa valeur à l’œuvre, c’est désormais dans la profondeur réflexive et la capacité de l’artiste à donner du sens par des moyens novateurs et inventifs que réside la vraie qualité. L’art contemporain a substitué à la valeur de la «sueur», de l’effort pas toujours forcément toujours très réfléchi, la valeur de la réflexion.
L’artiste est plasticien dans le sens où il met en oeuvre une transcription formelle de ses réflexions, c’est un philosophe dont l’écriture est graphique, sensible. C’est la raison pour laquelle les interventions des artistes actuels touchent à tous les domaines de l’expression, de la peinture à la sculpture, en passant par l’installation, la musique, l’écriture ...
Il est donc important, au contact d’œuvres difficiles d’accès ou formellement pauvres en apparence, de rechercher cette richesse de la réflexion et du concept, afin de ne pas se sentir trompé ou distancié par l’œuvre.
La notion d’œuvre comprise au contemporain est d’autant plus difficile d’accès qu’elle rompt encore sur un autre niveau, pourtant considéré comme le seul acceptable depuis les débuts de l’art : la pérennité. Car l’œuvre contemporaine n’est pas forcément destinée à perdurer. Il n’est pas difficile au spectateur de vouloir installer une hiérarchie entre une œuvre classique comme la Naissance de Vénus de Botticelli et une installation d’Arte Povera de Kounellis. L’une traversera indéfiniment les âges, conservée soigneusement aux Offices de Florence, tandis que l’autre sera démontée après l’exposition comme une vulgaire PLV. Laquelle semble valoir le plus ?
Le fait est que ce nouveau rapport au temps de dévalue pas l’œuvre, mais la rend différente, et son côté ephémère lui donne une préciosité et une fulgurance que ne pourra atteindre le plus grand des tableaux classiques. Il convient de chercher dans chaque oeuvre ce qu’elle a à offrir, et à ne pas les comparer entre elles. L’art contemporain s’oriente davantage vers la recherche, l’expérience, et pousse toujours plus loin les limites, sans se préoccupper de conserver ce qu’il a déjà acquis (néanmoins, nous nuancerons cette affirmation dans le dernier chapitre) alors que l’art classique cherche l’intemporalité, mais dans les étroites limites qu’il s’est délimité, et n’en sortirait à aucun prix.
Ainsi, l’œuvre est parfois une idée, une phrase, et celui qui y cherche un aboutissement formel sans regarder plus loin ne pourra être qu'immanquablement déçu. Pour nous initier à l’art contemporain, il faut éduquer notre regard à aller au delà des apparences, et notre esprit à s’investir dans l’œuvre pour en retirer quelque chose qui en vaut la peine.

 

4
L'ARTISTE AU CONTEMPORAIN

Dernière clé pour comprendre l’art d’aujourd’hui, la figure de l’artiste doit être comprise afin de pouvoir situer sa relation avec
l’œuvre, et donc de pouvoir comprendre l’œuvre elle-même. Pareillement, le marché de l’art a subi des mutations importantes qui conditionne tout ce qui se passe de créatif à l’heure actuelle.

Après avoir vu l’importance du concept, nous développerons encore plus avant cette dimension
afin d’en arriver à l’artiste lui-même. Cette réflexion se fera en deux temps, nous examineront d’abord l’artiste en relation avec
l’œuvre, puis l’artiste en relation avec le monde.
1. L’artiste et
l’œuvre.
Dans l’art classique, le peintre n’avait que peu d’importance. Au delà-de son talent, il n’intéressait pas le public, il était considéré comme un artisan, qui doit humblement s’effacer derrière son œuvre. De plus, les œuvres ne traduisaient jamais un point de vue, une sensibilité profonde, une opinion, une conviction, mais étaient plutôt prétexte à une démonstration technique. D’où la récurrence des sujets mythologiques, connus de tous, et qui n’avaient qu’à être mis en scène et repeints indéfiniment en cherchant à approcher la perfection.
En art contemporain, l’artiste est au premier plan, il ne s’efface pas derrière
l’œuvre, il se juxtapose à elle. A travers l’ouvre, on lit l’artiste, et inversement, ils sont complémentaires. Il est difficile de comprendre une oeuvre contemporaine sans connaître l’artiste qui est à son origine. Car le contemporain est marqué du sceau de la subjectivité. Le centre de l’oeuvre, c’est ce que ressent l’artiste, ce qu’il pense, ce n’est plus une vérité immuable à laquelle l’ouvre tente de se référer. Dans son oeuvre, l’artiste s’expose, s’exhibe, il se cherche, il devient son propre sujet. Le travail de Françis Bacon est exemplaire sur ce point. A travers une pléthore d’autoportraits et de scènes fortement auto-centrées, il se cherche lui même, et se débat avec ses démons, particulièrement avec son homosexualité.
Bien que nombre d’œuvres actuelles s’attachent à décortiquer la société, l’importance de l’artiste et de sa personnalité ne se dément jamais. L’artiste mondialement reconnu Jeff Koons a acquis une grande partie de sa notoriété en réalisant de monumentales et très kitsch sculptures de lui et sa femme en plein acte sexuel. Cette radicalité dans l’exhibition n’est plus ni un tabou ni un interdit aujourd’hui, et l’artiste s’assume parfaitement en tant que sujet de son œuvre.
2. L’artiste face au monde
Le même Jeff Koons doit également une part de son succès à sa femme, ancienne actrice pornographique, qui à contribué à lui forger une image sulfureuse, irrévérencieuse, et a usé de son pouvoir de séduction afin de faire connaître son mari.
Car l’artiste d’aujourd’hui est une figure médiatique. Le temps est révolu où les plus grands maîtres vivaient juste au dessus du seuil de pauvreté alors même que leur toiles se vendraient de manière posthume à des prix exorbitants. Depuis Salvador Dali, premier artiste à devenir millionnaire de son vivant, les artistes, lorsqu’ils sont reconnus, bénéficient des mêmes revenus que les stars de cinéma. Damien Hirst est actuellement l’artiste le plus riche du monde, sa fortune étant estimée à plus de 388 millions de dollars. En tant que personne médiatique, l’artiste a une influence constante sur son œuvre. Ainsi, une œuvre réalisée par Hirst avant d’être reconnue sera examinée au regard des ses derniers agissements, de son succès actuel, ce qui modifie considérablement les conditions de réception de
l’œuvre.
Hirst a également violé récemment l’un des plus grands interdits du monde de l’art. Il a organisé une vente aux enchères de ses œuvres les plus récentes avant même qu’elles aient été exposées. En excluant le passage en galerie du parcours habituel de ses œuvres, Damien Hirst a révélé les imbrications essentielles entre le monde de l’art et le monde de la finance. L’argent fait partie intégrante de l’art contemporain, est il est parfois, comme ici, l’occasion de faire réagir les gens d’une manière inhabituelle.
Averti des écueils habituels dans lesquels tombent beaucoup de nouveaux spectateurs, nous voilà à présent mieux armés pour explorer la création contemporaine, sans y porter les faux jugements qui lui portent préjudice, mais sans en exclure un regard critique qui ne doit pas tout excuser à un art qui accumule parfois les déviances, mais qui a l’élégance de les retourner en sa faveur ...

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